L'IMAGE NARRATIVE : Nope, Anna Pazyniuk (2016)
Oeuvre analysée :
Nope, Anna Pazyniuk
(2016)
(2016)
Lorsque l'on est illustrateur, raconter une histoire est
toujours quelque chose de difficile. Cette frustration peut être palliée de
bien des manières comme par exemple avec la bande dessinée, mais le challenge
est conséquent. Et difficile et un seul dessin de faire passer toute une
histoire, d’autant plus si cette dernière est complexe.
Cependant, certains illustrateurs n’ont pas peur de s’y
essayer, et c’est le cas de l’œuvre étudiée aujourd’hui.
Bonjour à tous et bienvenue dans le Museum d’Entretoile,
l’émission où je décortique les astuces et techniques utilisées par des
artistes afin de mette en image leurs univers imaginaires. Nous aborderons
aujourd’hui la narration, les histoires cachées dans les images, et ce à
travers un artwork d’Anna Pazyniuk, ou anndr, artiste freelance ukrainienne
ayant posté son œuvre sobrement intitulée Nope sur DeviantArt le 8 novembre
2016.L’artwork représente une interaction entre deux personnages dans la nature, près d’une ville médiévale perchée sur une falaise. On devine aisément le statut noble de la femme vêtue d’une grande robe rouge, tout comme la race du gentleman l’accompagnant, puisqu’il s’agit d’un elfe. La femme semble refuser l’invitation de l’elfe visant à l’aider à grimper la colline. De cet artwork se dégage une atmosphère fantastique, magique, nous plongeant directement dans cet univers.
![]() |
| anndr au travail. |
L’artwork représente deux personnages : Beloilen et Ilmar. Beloilen, la femme, refuse l’aide d’Ilmar car ne voulant pas se laisser impressionner par l’elfe. L’artwork a ici pour but de présenter le caractère des deux personnages en une scène représentative : D’une part, Beloilen, une femme forte et indépendante, qualifiée par l’illustratrice de Tsundere, ces personnages féminins japonais aux premiers abords distants et hautains, cachant une certaine sensibilité. D’autre part, Ilmar, un assassin elfe nomade. Une certaine alchimie est installée entre les deux personnages, ce qui permet de cerner en un coup d’œil la relation les unissant.
L’artwork est en réalité l’illustration d’un roman de fantasy-steampunk ‘‘Right to Decry’’ écrit par l’illustratrice lorsqu’elle était au lycée. L’histoire d’Ilmar et Beloilen, envoyés par une reine retrouver le Tergeryl-Tar, une pièce forgée par les dieux sombre.
Elle en a récemment fait une réécriture, histoire que le
texte ressemble moins à une fanfiction, rendant l’intrigue plus intelligente et
modifiant sensiblement ses personnages. Ce n’est d’ailleurs pas la seule
illustration de son roman que l’artiste a faite, ces personnages étant
récurrents dans ses œuvres personnelles. Certaines illustrations
ont même déjà 15 ans, il s’agit d’un univers qu’elle porte vraiment à cœur. Un
univers imaginaire récurrent, qui se matérialise au travers de ses différents
artworks.
Alors comment procède-t-elle ?
Cette capacité qu’a l’illustratrice à faire parler son image
réside dans plusieurs éléments. Mais il me semble que c’est dans la
construction-même de son image qu’elle parvient le mieux à retranscrire cette
idée. L’image est divisée en deux plans : l’action principale et le décor.
La division est superbement délimitée, ce qui permet d’accroître la lisibilité
de l’artwork. Le premier plan raconte l’histoire des personnages, l’action de
la scène en somme. Tandis que l’arrière plan a pour but de montrer l’univers,
le contexte dans lequel l’action prend place. Action et description, la
lisibilité de l’œuvre est parfaitement maîtrisée.Alors que la structure permet de parfaitement lire l’action, l’emploi des couleurs, quant à lui, impose une ambiance, dégage un véritable sentiment de l’œuvre. Les dominantes sont le bleu, pour l’eau et le ciel, bien évidement, mais aussi et surtout le vert et le jaune. Une alliance de couleur rappelant sans problème les feuilles mortes et donc… l’atmosphère de l’automne. Sentiment renforcé par les pointes rougeâtres placées ici et là dans le cadre. Les personnages bénéficient de la couleur pour ressortir du cadre avec notamment ce rouge-vif sur la robe de Beloilen. Cette répartition savante de la couleur sait accentuer les éléments d’action et user des aplats colorés pour instaurer un véritable cadre à l’intrigue.
Une atmosphère d’autant plus renforcée par la référence que
semble exacerber le dessin : celle du conte de fée, du genre merveilleux.
De la robe noble de Beloilen à la présence d’un château en passant par le
paysage féérique, tout semble converger vers ce style, connoté de magie et de
surnaturel. Il en va d’ailleurs de même avec l’utilisation de l’eau : la
cascade, le lac d’une eau fraiche scintillante, la dimension merveilleuse n’est
plus à cacher. Le genre est sous-entendu, et c’est d’ailleurs pour cela que le
personnage d’Ilmar est si aisément identifiable comme un elfe : l’ambiance
magique régnant autours de l’œuvre oriente la lecture du spectateur. Il y a
donc ici appel aux codes d’un genre précis permettant de projeter sur l’artwork
une grille de lecture fantastique.La lumière joue également un grand rôle, si ce n’est le rôle principal dans l’efficacité de l’artwork. Le château illuminé par le soleil, d’ailleurs présent à l’image, ajoute à cet effet de merveilleux. Mais c’est bel et bien cet effet de particules scintillantes qui donnent à l’œuvre toute sa dimension magique, voire irréelle. La lumière de l’artwork capte directement l’attention du spectateur en faisant littéralement briller l’image.
On peut rajouter à tout ça la touche employée sur le
dessin : un effet légèrement brouillé, permettant de faire ressortir le
scintillement ainsi que les autres effets de lumière. De plus, ce côté
légèrement flou, voire effacé, fait gagner à l’artwork, fourmillant de détails,
une réelle simplicité. L’exemple le plus parlant étant le visage des
protagonistes, réduits à leurs plus simples traits : yeux et bouche. C’est
la gestuelle qui définit Beliolen et Iltar et cet effet fonctionne
parfaitement. Il en va de même pour les décors, ce flou renforçant cet effet de
mirage, d’irréel, que la lumière semble exacerber.A travers cet artwork, témoignant d’un réel talent de composition de l’artiste, nous avons pu constater du pouvoir évocateur d’une illustration. Il est parfaitement possible de raconter sa propre histoire en une image, et ce, sans qu’elle ne fourmille de centaines de détails, noyant finalement son efficacité. Ce savant mélange de simplicité et de technique picturale raconte lui-même un univers, raconte des personnages, raconte une relation, raconte une ambiance.
Si les artworks sont si évocateurs, d’autant plus ceux prenant place dans un monde imaginaires, invitant autant l’aventure, c’est bien souvent car l’auteur étant derrière y fait transpirer ses histoires, son univers. L’artwork réalisé devient bien plus qu’une simple image, c’est une porte grande ouverte sur le monde d’un auteur.







Commentaires
Enregistrer un commentaire