LE GÉNÉRAL : General leading his army in war, Kostic Dusan (2013)
Oeuvre analysée :
General leading his army in war, Kostic Dusan (2013)
Si internet a pour avantage de
nous abreuver de contenu très régulièrement en terme d’illustration
inspirantes et créatives, il faut tout de même se rendre à l’évidence :
nous sommes gavés. Gavés d’illustrations publicitaires, gavés de couvertures de
livre ou bandes dessinées… et cela pose un réel problème sous-jacent :
nous dépersonnalisons les images.
En effet, nous n’accordons que peu
d’importance à l’auteur derrière telle ou telle œuvre, puisqu’en réalité, nous
ne nous contentons que d’un coup d’œil détaché à l’égard de ces œuvres,
enregistrant tout au plus le .jpg dans le sacro-saint dossier « Mes images ». Je
ne suis pas un mélomane, je ne hiérarchise pas les manières de consommer de l’art,
puisque le talent de l’artiste reste. C’est cependant sa reconnaissance qui en
prend un coup.
Je compare cette avalanche à la
profusion de musiques épiques sur YouTube, les artistes s’effaçant derrière des
labels (Trailer Music World, etc.) afin d’arriver à se faire une place. Leur
fonction est noble : motiver les créateurs et nous ne sommes que peu à ne
pas avoir écrit nos textes sur ce genre de compilations. L’œuvre dont il s’agira
aujourd’hui s’ancre, de part son origine, dans cette veine-ci. À la fois unique
en son genre mais fondue dans la masse d’internet.
General Leading His Army In War
est une œuvre serbe réalisée en 2013 par un certain Kostic Dusan. En tout cas,
c’est ce qu’indiquent les sources, je reviendrai sur ce point. Elle représente
une scène de guerre, un officier en armure pointant de son épée la direction du
champ de bataille à ses troupes, prêtes à en découdre. Le général est
reconnaissable à l’aide de la singularité de son armure : parée d’or et
incrustée de pierres précieuses. Son armée est équipée de lances et d’épées
longues, la brume de guerre les limitant à la forme de simples silhouettes.
Règne sur cet artwork un sentiment de chaos, atténué par la présence de ce
général, captant toute l’attention.
Profil du supposé artiste |
Cette œuvre s’inscrit parfaitement
dans le genre de la Dark Fantasy car présentant une ambivalence presque
palpable : difficile de dire si l’armée représentée lutte du côté des
forces du bien ou du mal. Leur apparence effrayante et déshumanisée est brisée
par la figure plus rassurante de leur général, semblant contenir ce chaos et
être le seul dans le cadre à maîtriser la situation. Les éléments dorés sur son
armure illuminant la scène de leur éclat. Tout comme les artworks du jeu vidéo
Diablo, difficile de cerner l’affiliation exacte des personnages, l’ambivalence
est totale.
Comme dit précédemment, il m’a été
très difficile de trouver l’origine de cet artwork. D’abord récupéré au hasard
de quelques recherches sur Google Image, il était impossible d’avoir une
quelconque source de l’artiste ou de qui que ce soit. J’ai finalement trouvé un
roman de Fantasy allemand utilisant cette illustration comme couverture, l’attribuant
à un certain Fotokostic. Il s’agit en réalité d’un certain Kostic Dusan
spécialisé en effet dans l’artwork de Fantasy… mais aussi la photo publicitaire
et diverses images misent en vente sur des sites tels que 123RF ou iStock. En
bref, il s’agit là sans doute d’un revendeur, accumulant des images et des
copyrights afin de gagner sa vie, impossible de savoir s’il s’agit réellement
de l’artiste en question. La paternité de cette œuvre est donc à prendre avec
des pincettes. L’image a été mise la première fois en ligne le 20 aout 2013 sur
le site de vente d’images iStock, c’est la date la plus ancienne que j’ai pu
retrouver.
Cela ne dit pas grand-chose de l’œuvre
mis à part que cette dernière… est à vendre. Contrairement à l’œuvre précédemment
chroniquée qui avait pour but d’inspirer une équipe créative, cette dernière
est un produit. Ce dernier doit capter le client et avoir une réelle efficacité
visuelle.
Parlons de l’artwork. Ce dernier
témoigne d’une grande intelligence de la part de l’artiste, et ce, dans tous
ses aspects picturaux, à commencer par la composition de l’œuvre. Tout d’abord,
elle instaure directement un rapport hiérarchique entre le général et son
armée, les deux entités de l’œuvre. L’officier est plus haut que ses soldats,
il les surplombe, ce qui – très efficacement – marque le statut de ce
personnage : il est le leader, cette armée est à lui et il en a la
responsabilité. L’armée, sous le général et en arrière-plan, suivent le regard
du chef, ne marquant aucune opposition avec lui, bien au contraire. Mais la
spécificité de la composition de cette œuvre réside dans ses lignes de force. Les
lignes de force structurent un tableau et le dynamisent, elles sont essentielles
à la fois pour le discours qu’offre l’œuvre, mais aussi pour diriger le regard
du spectateur. Ici, ce sont les armes des différents protagonistes qui les
marquent. C’est simple : les fines lances des soldats sont désordonnées,
participant à cette aura chaotique (bien qu’elles soient toutes plus ou moins
dirigées vers le même endroit, renforçant une certaine unité dans les
motivations). Mais il s’agit bel et bien de la lame du général, pourfendant le
cadre de part en part, marquant la seule et véritable ligne dynamique, pointant
la direction du champ de bataille, unifiant toutes ces lances vers une
direction commune. C’est cette ligne qui structure le tableau et le dynamise
avec une efficacité brillante.
Le dessin joue pour beaucoup dans
ce que dit l’artwork de la scène. Les soldats sont des silhouettes, des ombres,
ils n’ont pas réellement de personnalité et font ainsi office de pions :
monochromes, sans visage, sans attribut particulier même. Le général, quant à
lui, est parfaitement net, détaillé même, concentrant ainsi tous les regards
sur lui et ses joyaux, faisant office de repère. De plus, la forme incisive,
acérée des armes des soldats ajoutent à l’agressivité et la bestialité de la
masse. Renforcer le chaos et le caractère indomptable de ces créatures accroît
considérablement la majesté du général, apte à guider une telle armée.
Ce chaos généralisé est d’autant
plus appuyé par les couleurs employées par l’artiste. La dominante, vous l’aurez
sans doute deviné, c’est le bleu : représentatif ici de la nuit, du froid
mais aussi – et surtout – de la brume. Le brouillard de guerre étant le symbole
parfait du champ de bataille et du chaos qui s’en dégage. Le gris est aussi à l’honneur,
également comme couleur dominante, apportant cet aspect métallique à l’œuvre :
l’acier de la lame, tout comme l’acier de l’armure. Cependant, les rehauts de
couleur sont significatifs : l’or du général. Là encore, tout est mis en œuvre
pour renforcer la majesté de ce général. Le bleu (d’autant plus associé au
gris) est la couleur froide par excellence, ajouter cette couleur chaude,
chatoyante, illumine considérablement le cadre, créant une percée de lumière,
renforcé par les rubis incrustés dans son armure.
Un mot sur la répartition de la
lumière, presque théâtrale : les projecteurs sont braqués sur le général,
faisant éclater ses ornements dorés et solidifiant son importance. Le reste du
cadre a toujours cette répartition diffuse de la lumière, uniforme.
C’est cependant la touche qu’a
décidé de simuler l’artiste qui est, selon moi, le détail le plus important de
l’artwork. Simulant la méthode utilisée par les impressionnistes, les coups de
pinceaux sont grossiers et parfaitement visibles. Les aplats de couleurs sont diffus
et les dégradés laissant une impression de non-fini. La volonté de l’artiste
derrière ce procédé est la même que les artistes impressionnistes :
suggérer, peindre une ambiance plus qu’une scène. Ainsi mélanger ce travail d’ambiance
avec la figure que représente ce général, parfaitement représenté, a pour effet
non seulement de structurer le tableau mais en plus témoigne d’une excellente
compréhension de la part de l’artiste du support sur lequel il travaille.
Utiliser l’art de la peinture dans tout ce qu’elle peut offrir, quitte à s’affranchir
de la représentation réaliste, que l’on retrouve partout dans l’artwork
imaginaire en règle générale.
C’est cela qui m’a tout de suite
plu dans cet artwork. Cette complexité. Il s’agit d’un produit, d’une image qui
veut se vendre mais utilise pour cela des procédés hérités de la peinture dite ‘classique’
pour être efficace. Tout est mis en œuvre pour renforcer l’idée de l’artiste,
tellement bien que le leader est non seulement celui de cette armée, mais aussi
de tout l’artwork. Il capte, il fascine, il créé un véritable mystère et une
ambivalence à lui tout seul. C’est ainsi qu’un général charismatique peut être
représenté dans un artwork : il se doit de canaliser toute l’énergie de l’artwork
et attirer tous les regards sur lui et sa majesté.
Cet artwork est donc en lui-même
très ambivalent. Entre produit de marché et œuvre purement artistique, c’est sans doutes
pour cela que j’ai tenu à la chroniquer. L’œuvre ne cache pas que le visage du
général, elle cache celui de l’artiste, de la personne qui, elle, s’est fondue
dans son œuvre. C’est lorsque l’artiste me communique sa sensibilité et son
talent par son image que je me sens proche de lui, je n’ai pas besoin de
connaître son nom, avoir partagé ce moment entre artiste et simple spectateur
avec lui me suffit amplement.
Grandiose. L'image, bien sûr, mais l'analyse qui l'accompagne également.
RépondreSupprimervraiment sympa, j'aime beaucoup ces analyses ça me donne envie de me remettre au dessin sérieusement (parce que pour le moment je ne dessine vite fait qu'en permanence ou après un contrôle).
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