La Stratégie des As : Comprendre et jouer des genres


C'était dans l'ambiance frénétique du Toulouse Game Show que j'ai découvert ce livre. Une atmosphère dont j'étais totalement détaché d'ailleurs. Le coin jeu de rôle / cartes / plateau a été réduit à son strict minimum pour laisser place à des commerces japonisants opportunistes. Franchement pas le genre d'endroit où j'aime me trouver.

Et c'est dans le coin "librairie" que je me suis réfugié. Visiblement, ce dernier tenait à l'écart les foules juvéniles, bousculant sans respect les cosplayeurs ou encore les photographes invasifs, ayant visiblement tous les droits grâce à la Ô sainte carte de presse. J'avais trouvé mon havre de paix.
Quelques auteurs s'y tenaient et c'était visiblement la Belgique qui était à l'honneur. Ça tombait bien. C'est un pays dont j'affectionne tout particulièrement les auteurs. Dès que mon oeil est attiré par un artwork ou mon oreille par un groupe de Power Metal, la nationalité Belge revient très régulièrement.



C'est alors que j'ai fais la rencontre de Damien Snyers, exposant son premier ouvrage, paru chez ActuSF. Un bonhomme de 28 ans (sans doute 29 à l'heure où j'écris ces lignes) transpirant la passion. Nous avions discuté Robin Hobb, discuté The Elder Scrolls, discuté The Witcher... Et je ne pouvais repartir sans son ouvrage, vous l'imaginez bien.

Sa lecture a été assez longue, non pas à cause de son style ou de sa longueur (à peine 220 pages environ), seulement car le temps me manquait et je souhaitais le lire d'un traite. Normal pour un roman aussi énergique.


LA STRATÉGIE DES AS
Damien Snyers (2016)


Avis : 6/10


Première phrase lâchée après avoir fermé le livre :
"Pas trop mal."

Résumer mon avis sur La Stratégie des As va être compliqué. J'ai été partagé tout au long de la lecture entre un sentiment d'attachement à ce petit monde et un avis bien plus mitigé. Disons que le livre est très inégal, bien qu'il garde tout au long cette capacité à ne pas lâcher le lecteur, cela est sans doutes dû à son rythme, effréné.

Tout d'abord, je tiens à souligner la plus grande réussite de l'ouvrage selon moi : l'écriture des personnages. Du héros principal au plus simple personnage-fonction, on sent que chacun a méticuleusement été réfléchi et tous présentent une particularité. Mention spéciale à Gustave, la pourriture de la ville, dont quasiment toutes les scènes le faisant apparaître sont des réussites. Jorg, le troll, s'élève au dessus d'un simple sidekick et on se surprend à s'attacher à cette bande de truands. L'unique personnage ne m'ayant pas convaincu restant le personnage de Astur, un des antagonistes principaux. Également, le personnage de Mila est un peu laissé de côté, si bien que lorsque son importance se révèle, le sentiment est étrange. Fort heureusement, Damien Snyers n'aime pas mettre de côté un personnage, si bien qu'il conclut son roman par une nouvelle... portant sur ce même personnage. Il le dit lui-même :
"J'avais envie de développer un peu le personnage de Mila, parce que contrairement aux autres, qui sont présents dès le début, elle arrive tardivement. Je me suis rendu compte que j'aimais beaucoup l'écrire, mais comme le roman est vu par les yeux de James, Mila est un personnage qui comporte beaucoup de zones d'ombre."

Cependant - et vous le savez si vous me suivez - ma spécialité réside dans les univers imaginaires. À mi-chemin entre la Fantasy, le Steampunk et l'uchronie (tout un programme), mon immersion à Nowy-Krakòw - la ville où se déroule l'intrigue - a été en demi-teinte. J'ai ressenti l'ambiance comme un mélange entre Dishonored et la Guilde des Voleurs de The Elder Scrolls IV : Oblivion. Le monde dépeint est finalement très effacé. Mélangeant des éléments totalement imaginaires avec notre bon vieux monde (parlant de la Pologne, de Londres, de l'Egypte), forme un univers qui aurait pu être passionnant s'il était plus détaillé. Le résultat est assez spécial. Ni vraiment dans un monde imaginaire, ni vraiment une uchronie (rares restent les références à notre monde), l'univers manque d'une cohérence globale.

C'est assez dommage, cela donne l'impression d'un univers effacé, de nombreuses règles de base d'un univers imaginaire apparaissant au fur et à mesure du livre. Cela provoque une légère dissonance avec le personnage de James, narrateur de l'histoire, censé connaître son monde sur le bout des doigts. Le "détail" de l'univers peu détaillé le plus flagrant reste l'utilisation de la magie. On ne découvre qu'à la fin de l'ouvrage quelques éléments permettant de cerner sa force. Cela aurait pu fonctionner dans un univers très cartésien dont la magie est purement surnaturelle mais ça n'est pas le cas ici : la magie est la matrice centrale de tout l'univers dépeint par Snyers. Elle contrôle la météo, elle scelle des coffres et est présente dans la vie de "monsieur et madame tout le monde".

Cette présence un peu effacée de la magie et même de l'univers en général va de pair avec le rythme assez inégal du livre. Autant certaines scènes sont extrêmement prenantes (l'incipit, la scène de la bibliothèque ou encore la superbe scène du numéro de prestidigitation) mais d'autres traînent en longueur. C'est dommage car dans une histoire avec un rythme aussi soutenu, ces scènes font tâche.


Pour ce qui est de l'intrigue principale, le problème réside dans les enjeux de la menace, étant assez mal établis. On comprend en quoi les personnages sont en danger d'un côté mais pas pourquoi ils prennent régulièrement des pauses ou font traîner certaines actions. D'ailleurs, lors de la révélation finale, toute la tension accumulée retombe comme un soufflé (la raison des agissement de l'antagoniste étant même avoué par l'auteur d'assez clichée).

Un point très intéressant à relever du livre reste bien évidement sa narration. À la première personne, le style ne tombe jamais dans le trop familier ni dans un langage trop soutenu qui ferait tâche. Le point de vue du narrateur se fond assez bien dans le récit et le passage du passé simple au présent est bien maîtrisé, dans la mesure où il justifie l'emploi d'un discours direct aussi prononcé. Une réussite sur ce point.

La Stratégie des As ne révolutionne rien, c'est un fait. Il est cependant dommage que dans une intrigue aussi frénétique et avec des personnages aussi caractérisés et même parfois complexes, l'univers ne suive pas. On passe d'explication sur le réseau magique de la ville à des déesses égyptiennes pour terminer sur des hauts-de-formes et des calèches sans un réel dénominateur commun, le tout restant très hétérogène. En espérant, Damien, si tu me lis, que tu te repencheras sur ce petit monde car le potentiel est là. En attendant ta prochaine production de pied ferme.



L'ouvrage de Damien Snyers a pour particularité de brasser un grand nombre de genres et si le résultat peut parfois être un peu confus, le procédé utilisé est très intéressant. En effet, ici, chaque genre utilisé dans l'univers-marmite de Snyers apporte une spécificité, aidant à la fois son intrigue, son propos ou son ambiance. C'est ce qui m'a tout de suite attiré et m'a sans doute paru le plus intéressant dans le processus d'écriture du livre. Voyons comment chaque genre est utilisé dans La Stratégie des As pour parfaire l'écriture du bonhomme.


I - Le Steampunk : un héritage narratif

Difficile de dire si La Stratégie des As penche plus vers le Steampunk ou vers la Fantasy. Cependant, il est clair que l'apport du rétrofuturisme victorien joue énormément dans l'ambiance de l'oeuvre. En effet, il s'agit d'un véritable polar, "dans la plus pure tradition des films de casse" comme nous en informe la quatrième de couverture. Le genre du polar a pour lien avec l'époque victorienne l'esthétique des livres d'Arthur Conan Doyle et le personnage de Sherlock Holmes, qui est avec Jules Vernes l'un des plus grands inspirateurs de ce qu'il deviendra plus tard le genre Steampunk.

Cette référence est d'autant plus renforcée par le côté -punk du Steampunk car l'on y suit une bande de truands. Les codes classiques des polars de Doyles sont donc retournés, gardant son type d'intrigue favoris en ajoutant ce nihilisme propre aux genres estampillés -punk. C'est donc un savant mélange opéré ici, ainsi qu'une certaine compréhension du genre Steampunk qui a été faite.

II - La Fantasy : un propos politique

Les univers imaginaires ont cette force de pouvoir aborder un propos politique à travers son univers-même. Dans la science-fiction comme dans la fantasy, cela se retrouve avec le propos sur les races car, que ce soient des aliens ou des elfes, l'univers matérialise des différentes concrètes entre différentes souches d'une société. Dans l'oeuvre de Snyers, on se rapproche d'un traitement proche de celui fait dans Dragon Age Origins car l'elfe (créature supérieure, voire divine telle que Tolkien a pu la décrire) est ici discriminé pour sa race.

C'est un propos très présent dans les univers imaginaire : Mass Effect, Zootopie, Warhammer 40 000 ou encore Star Trek, la question raciale est très présente car matérialise une société multiraciale et tout ce que cela implique. Ici, les elfes sont discriminés et le traitement qui en est fait est très intéressant. Comme avec le personnage de Nick dans Zootopie, le héros accepte cette discrimination comme un fait établi. De plus, on rencontre un autre elfe bien plus tard qui, lui, a pour particularité de se tailler les oreilles pour accentuer son appartenance à la race elfique. Plusieurs cas de figure sont présents dans le livre, notamment la question de semi-elfes par exemple, mais tous ont comme dénominateur commun d'aborder intelligemment la question raciale, grâce au genre qu'est la Fantasy.

III - L'Uchronie : l'étrange ancrage

Si un élément de l'univers de La Stratégie des As est vraiment étrange, c'est bel et bien l'ancrage dans notre monde. On parle de Trolls, d'Elfes, de mages... mais le tout se déroulant en Pologne, tout en parlant de l'Egypte ou de Londres. Cette géographie est étrange et pourrait se rapprocher de l'univers du manga Hunter x Hunter lui aussi utilisant la géographie terrestre.

Cela a pour effet de créer une certaine dissonance entre notre monde et nos lois physiques avec celles d'un univers totalement imaginaire. Cette dissonance est très particulière mais également très efficace. Le lecteur est bien plus accompagné dans un univers fictif s'il y trouve ses repères. La géographie en fait parti. Cela permet non seulement de donner une singularité à l'univers de Snyers tout en invitant le lecteur à s'y plonger.


Si un auteur n'écrit pas pour entrer son livre dans une petite case pré-établie, ce dernier ne peut ignorer ce qu'offre ou ce qu'inspire au public tel ou tel genre. À lui de jouer avec afin d'agrémenter son écriture et ainsi pouvoir constituer un univers riche et singulier.

Commentaires

  1. Super article ;D . Je trouve l'artwork magnifique . J'avais bien envie d'un bouquin un peu steampunk du coup je vais peut etre y jeter un oeil . En plus ,c'est un compratriote alors XD .

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  2. Excellente critique :) ! Bien que tu ais trouvé le roman moyen, et je peux comprendre au vue de l'univers qui semble peu développé comme tu l'as mentionnés, ta critique me donne tout de même envie de lire lors d'une période de creux dans mes journées.

    En plus il s'agit d'un compatriote, donc cela me donne doublement envie de lire ci livre x) !

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  3. Belle critique, comme d'habitude ! Ce qui est chouette aussi, c'est ton honnêteté. Les aspects qui déçoivent sont évoqués, et ceux qui font plaisir également : il ne s'agit pas d'un article ayant pris parti, sinon celui de Jaden Kor, et ça, c'est une qualité ! La neutralité dans la critique, parler aussi bien de ce qui ne va pas que de ce qui est bon, c'est avoir un recul complet, efficient et intéressant !

    Je souhaite beaucoup de courage à ce jeune auteur, et au plaisir de lire de futurs articles :D

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