Le sacre de la Liche

A travers cette apparence monstrueuse, tout gamer ou rolliste ayant déjà rencontré ce type de créatures, souvent dans les niveaux les plus difficiles – donjons, cryptes ou ruines abandonnées – reste relativement intimidé à sa vue. Cependant, au-delà de la monstruosité que représente une telle bête, inconsciemment, toute personne l’ayant rencontrée ne peut s’empêcher de l’admirer. Une admiration morbide. L’admiration de ce cadavre capable des prouesses de mages les plus distingués.

Entre horreur et admiration, aujourd’hui, je vous invite dans la Forge de l’Automne, la Forge où votre serviteur bat et retourne le fer de l’imaginaire. Penchez-vous sur ce corps juste devant moi. Nous allons étudier, mon cher, la figure de la liche.

Liche aux phylactères par Michael Komarck

Étonnante, effrayante, fascinante… La liche laisse généralement son interlocuteur assez peu indifférent. Il faut dire, ce mélange incongru de cadavre, de vêtements de roi en lambeaux couplés à ses capacités magiques digne des mages les plus entraînés, la dissonance provoquée par l’ensemble de ces éléments peut rapidement avoir raison de vous. Je dois dire que la liche est l’une des créatures qui me passionne le plus, à des kilomètres de gobelins, orcs et autres trolls, bien au-delà des préoccupations sanguinaires de nos chers adversaires porcins. La liche représente une certaine classe, les sons qu’elle siffle, son apparence intimidante… Il ne m’en fallait pas beaucoup plus pour considérer cette anomalie au milieu des pages de bestiaire pour me parler.

C’est cependant dans ce mélange incongru façonnant le charme naturel du monstre que je me suis posé une question : pourquoi, à elle seule, la liche parvient-elle à porter toute cette ambivalence et à caractériser un mélange de genre harmonieux au point d’être érigé au panthéon des adversaires de base ? Nous allons parcourir ces différentes raisons en tentant de comprendre ces différentes ficelles qui font de la liche ce qu’elle est aujourd’hui dans notre tête.

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La liche : d’un aboutissement morbide du rêve de la magie.

La liche se définit assez facilement : il s’agit simplement d’un mort-vivant maîtrisant l’art de la magie. La définition peut très décemment s’arrêter là et l’essentiel de la créature réside déjà dans ces quelques mots. Cette maîtrise de la magie apporte une dimension surnaturelle déjà inscrite dans l’ADN même de sa forme de mort-vivant mais il s’agit bel et bien de deux caractéristiques surnaturelles bien différentes et qui marquent significativement. La condition de mort-vivant est passive, toutes les créatures immortelles vous le diront : la vie éternelle est une malédiction, rien de plus. La liche subit donc sa condition de mort prisonnier de son propre corps et pourrait, comme le zombie, s’abandonner à la folie ou comme le spectre s’enfermer dans son lieu de mort pour que jamais quiconque ne puisse voir sa disgrâce.

"Le mélange de ces deux éléments forgent à la liche [...] ce côté inatteignable et incompréhensible, au-delà de la logique humaine."

Cependant, la liche se démarque de ça. Elle dénote par son autre pouvoir surnaturel : sa maîtrise de la magie. Il s’agit d’une caractéristique active, qui sème une incompréhension totale de prime abord car se trouvant entre deux extrêmes : la malédiction et le don quasi divin. Le mélange de ces deux éléments forgent à la liche non seulement ce côté inatteignable et incompréhensible, au-delà de la logique humaine ; mais cela montre aussi une autre facette de la liche : cette dernière est consciente. Elle n’a pas la stupidité d’un orc ou la folie d’un zombie. Elle connait sa condition et la maîtrise. La liche est sans doute meilleure mage que n’importe quel magicien vivant de pacotille. Elle est parvenue, elle, à berner la mort. C’est sans doute en ça que cette créature effraie autant : elle connait l’au-delà et vit entre nos deux mondes, en pleine possession de ses moyens.

C’est sans doute là l’aboutissement même du concept de magie. Parvenir à repousser les limites humaines jusqu’à sonder la mort, quitte à se déshumaniser pour de bon. La liche incarne ce doux rêve de la nécromancie et de la magie noire. Fréquenter les damnés pour mieux regarder la réalité des vivants en face. En ça réside la puissance de la liche que jamais son adversaire ne pourra que soupçonner. Si elle le tue, elle connaîtra le parcours de son ennemi dans la mort. Mieux que quiconque.

"La liche incarne ce doux rêve de la nécromancie et de la magie noire. Fréquenter les damnés pour mieux regarder la réalité des vivants en face."

 

La liche : d’une figure visuelle de la mort.

Un corps rachitique portant des longs habits et une arme tranchante, rien de mieux pour rappeler à celui qu’elle rencontre la figure de la mort. La liche, de par cette apparence, marque son appartenance au royaume des défunts. Elle tisse ici un parallèle avec la figure vieux sage, le mage blanc à barbe, ici, son corps est noir et ses rides sont apparentes. Qu’est-ce que la liche sinon une projection de la mort du mage bien en chair qu’elle combat ?

"La liche n’est rien d’autre que le miroir morbide du futur proche de son adversaire."

La liche ne se cache pas. Ses anciens vêtements en lambeaux laissent apparaître ses blessures, ses rides, sa peau pendante, ses tendons apparents, sans jamais aseptiser le dégoût de la mort. Elle est là, en face, et elle compte mettre un terme à votre vie. Voici comment elle procède. La liche n’est rien d’autre que le miroir morbide du futur proche de son adversaire.

Les richesses collectées sur la créature semble aussi se prêter à l’interprétation. Toujours dans cette métaphore de la liche comme miroir de l’aventurier, les armes enchantées, les bijoux, les vêtements riches… autant d’éléments rappelant les trésors collectés par les aventuriers qui reconnaissent ici un même désir que celui de la liche : s’enrichir. Si tout semble opposer la liche à ses adversaire, seul son objectif est resté le même que ses ennemis, et il s’agit bel et bien d’un vice. La liche et l’aventurier, à défaut de partager la vie, partagent les mêmes vices.

La liche : d’une figure totale de la Fantasy.

L’importation de figures horrifiques dans le paysage de la Fantasy, notamment la Dark fantasy, est loin d’être rare. Après tout, ne parlons-nous pas de SFFFH : SF, Fantasy, Fantastique et horreur ? La liche présente ici la seule et véritable évolution de la figure du nécromancien. L’adepte de la magie noire étudie la mort tandis que la liche, en plus de l’avoir comprise, est parvenue à la dompter. Elle représente alors une vraie évolution et un aboutissement d’une des autres figures mythiques des ennemis classiques de la Fantasy. En s’inscrivant comme une évolution logique, elle entraîne le héros à voir son parcours initiatique en mouvement, en incarnant les marches qu’il devra passer. En acceptant de combattre la figure aboutie de ses ennemis, le héros pourra s’aboutir lui-même.

"En s’inscrivant comme une évolution logique, elle entraîne le héros à voir son parcours initiatique en mouvement, en incarnant les marches qu’il devra passer."

D’autre part, la liche soulève également d’autres questions. Lorsque le lecteur / spectateur la découvre, il y voit une âme en terrain connu, ayant conscience de sa condition dans ce monde, à cheval entre le sien et un autre, inatteignable. Elle ère dans ce monde, observant, à l’abri des regards. Sans doute, si le lecteur est si fasciné par une créature telle que la liche, c’est peut être parce qu’il y voit un miroir. Non pas le miroir des héros, mais sans doutes orienté bien plus près de lui qu’il ne voudrait l’imaginer…

Jaden Kor.