L'Ange Déchu : End of Godliness, Hong Kuang (2007)

Oeuvre analysée :
End of Godliness, Hong Kuang , Adobe Photoshop (2007)
La première vue de cette œuvre numérique sur Adobe Photoshop de Hong Kuang, artiste chinois originaire de Pékin, ne laisse pas indifférent. Un décor sombre, mélancolique, un ange dégageant à la fois une tristesse et une détermination à toute épreuve, cet artwork a eu un certain succès en mai 2007 compte tenu des commentaires de l’époque et de son apparition dans la compilation Fantasy Art dans la rubrique « Guerrières et femmes sans peur ». L’œuvre a été réalisée en 8 heures et témoigne du talent de Hong Kuan pour pondre un artwork d’une telle finesse et aussi lourd de sens, particulièrement pour une œuvre de Dark Fantasy.
Bienvenue dans le Muséum de l’Entretoile, la nouvelle
chronique de Jaden Kor d’analyse d’artworks et nous allons jeter un œil à End of Godliness de Hong Kuan.
L’œuvre que vous voyez ici représente un ange déchu, menottée, portant une croix rouge sang sur son
dos et marchant en direction d’une haute montagne volcanique. Elle est retenue
par différentes chaînes qui l’entravent et lance un ultime regard derrière
elle, les yeux emplis de regret. On remarquera dans le ciel obstrué par de
ténébreux nuages quelques éclaircies perçant le voile brumeux.
Le sujet de l’œuvre est simple : l’ascension d’un être
pêcheur vers la rédemption. L’ange doit ici endurer un effort insoutenable afin
d’espérer accéder à un pardon ou une quelconque reconversion. L’auteur le narre
en ces termes et fort bien :
" Avec la croix ensanglantée qu’il porte, l’ange espère une dernière prière qui pourra racheter son âme. Hélas, un ange déchu ne peut échapper à son destin. "
En effet, cette œuvre numérique aborde le sujet
très apprécié des spectateurs d’artworks fantasy : celui de l’ange déchu,
très apprécié parmi les fans d’art Fantasy. Ce style puise ses sources dans la
Fantasy Angélique aux influences pessimistes, ce qui pourrait grossièrement
être résumé par Dark Fantasy Angélique pour les puristes. Ce genre a pour but
de représenter la figure de l’ange et la détourner pour en montrer une facette
perfide, à l’image de Lucifer, lui-même un ange déchu. Je vous conseille
d’ailleurs le diptyque Ailes de Feu et Ailes Noires de Laura Gallego Garcia
comme bonne œuvre de ce genre. Le thème satanique de ce genre d’œuvre est très
marqué : la perversion d’un symbole aussi pur que celui des anges est un
pied de nez avoué à leurs représentations commune.
Et c’est exactement cela ce que l’auteur a voulu
transparaître dans l’œuvre. La dimension satanique du genre dépeint ici est totale
dans tous ces éléments que nous décortiqueront plus en détail ensuite. Les
références à la religion sont légions et sans marquer une quelconque prise de
position idéologique, Hong Kuan a ici représenté un ange déchu dans toute son
essence, dans la compréhension du genre traité. Bien que le temps de
réalisation de l’œuvre soit très court, l’œuvre a parfaitement été réfléchie.
Ajoutez à cela que l’œuvre a été fait pour son book et représente donc une
création très personnelle : la patte artistique qu’il présentera au monde.
En 2003 il réalisa une première ébauche de l’ange déchu qu’il perfectionnera
ici en 2007. Cette œuvre, comme beaucoup dans l’art Fantasy, n’a pas de
vocation critique ou idéologique mais bel et bien de sensation pure, de faire
ressentir le pessimisme et l’histoire de cet ange déchu emplis de regrets.
Attaquons-nous à la forme du tableau, format portrait,
l’ange à la droite, le décor à la gauche. L’œuvre est basée sur la profondeur
de champ et c’est significatif : le voyage n’est pas terminé et le
personnage au devant du tableau n’est qu’au début de sa peine. Le voyage se
fait alors sur l’axe y, donnant une impression d’univers à parcourir, quel qu’il
soit.
Car en effet les couleurs y jouent pour beaucoup : à
dominante verte et noire, le tableau se paye le luxe de représenter à travers ce
couple de couleur la dimension malsaine : couleur de la maladie, de la
peur voire même de la mort. Tout le tableau est imbibé par ce vert artificiel
et omniprésent, une couleur d’atmosphère peu ordinaire et donc peu rassurante.
Des rehauts de couleurs sont remarquables : le jaune, le rouge des flammes
et le violet de la robe. Malgré la dominante de couleurs froides de ce tableau,
les éclats colorés de la lave équilibrent la composition du tableau mais en y
rajoutant tout un imaginaire lié aux enfers : la roche et le feu.
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La croix renversée. |
Les détails sont cependant significatifs et notamment cette
croix. D’apparence démoniaque par le rouge lumineux qui s’en dégage, couleur
attribuée d’ordinaire à Satan, sa position n’est en rien anodine : cette
dernière est renversée, symbole ultime du satanisme et de l’inversion des
valeurs angéliques. Notons aussi la symbolique même du tableau en
général : l’ascension d’une montagne portant une croix en quête de
rédemption… Oui, c’es bel et bien là une grosse référence à l’ascension du
Calvaire par Jésus Christ, ainsi détourné par cet ange aux apparences et
attributs démoniaques. La comparaison avec le Christ ne s’arrête pourtant pas
là entre menottes, chaînes et lacérations sur le dos, le martyr est ici
représenté dans toute sa splendeur.
Un martyr d’autant plus facile à identifier avec les
éléments symbolisant l’attachement de cet ange au passé. Un détail me
marque : cette chaîne au sol, continuant vers l’arrière du tableau, comme
si le spectateur retenait ce pauvre ange. Une autre version du tableau renforce
cette implication du public face à la décadence de cet être, comme si le spectateur était
responsable. Cependant une autre interprétation possible serait l’attachement
de cet ange au passé, la chaîne retenue par l’arrière du décor. Après tout, la
composition se base sur la profondeur de champ, en premier plan le présent et
en arrière-plan le futur. La chaîne serait ainsi reliée au passé, à ce que l’on
ne voit pas. Le regard plein de regret de l’ange est alors bien plus percutant,
regardant avec nostalgie un passé révolu faute à ses choix et au jugement
divin.
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La chaîne au sol. |
Ces détails humanisent grandement l’ange, qui son
normalement représentés, même dans les autres artworks, comme d’une nature
inaccessible. Le détails des deux ailes de la créature est significatif :
l’une est blanche et l’autre noire. L’une un résidu de la pureté angélique
passée, l’autre le mal absolu, démoniaque et manichéen. Avoir placé ces deux
ailes est selon moi une autre preuve de la déstructuration de la figure de
l’ange : ici est représenté un être dans toute sa complexité idéologique,
ni vraiment humain, ni vraiment démon, comme un humain.
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Autre version de l'artwork. |
C’est en ça que cette œuvre est admirable et résume à
elle-seule, en une seule image un des plus grands thèmes de la Dark
Fantasy : celui de confronter le manichéisme fantasmé à la réalité, de
mettre les dieux face à la souffrance humaine et le caractère impitoyable du
monde qui entoure ceux qui les vénères. Inverser les valeurs pour regarder la
noirceur du monde en face.
C’est tout pour cet épisode du Museum de l’Entretoile. Il
s’agit d’un format de chronique concentré,
comme vous l’avez vu, sur des œuvres d’art trouvées sur internet analysées et
interprétée par mes soins tout en se questionnant sur le genre, la technique ou
le sujet de l’artwork étudié.
Je pense qu’il était nécessaire de faire naître
sur ce blog une réelle chronique analytique qui permet de décortiquer le
savoir-faire des meilleurs afin de se rendre compte des techniques et sujets de
chacun.
A bientôt et soyez observateur, toujours.
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