Le Monstre Ancien : King Goblin, Juhani Jokinen (2011)
Oeuvre analysée :
King Goblin, Juhani Jokinen (2011)
La force d’un artwork est de proposer une véritable
immersion, vous le savez sans doutes mieux que moi. L’œuvre finlandaise que
nous allons étudier aujourd’hui ne fait que confirmer cette règle et la
puissance que dégage la représentation de ce monstre est telle que je ne
pouvais passer à côté.
Bonjour à tous et bienvenue dans le Museum d’Entretoile,
la chronique où je décortique les astuces et techniques utilisées par des
artistes afin de mettre en image leurs univers imaginaires. Il sera question
aujourd’hui de la figure du monstre ancien à travers l’artwork réalisé en 2011
par l’artiste finlandais Juhani Jokinen originaire d’Helsinki pour le jeu vidéo
Trine 2.
L’artwork représente, comme vous pouvez le voir, un groupe
de trois héros combattant un monstre gigantesque. Le monstre est en train de se
lever et se trouve en contrebas de la falaise où se situent les personnages,
tous sur leur garde. Les héros sont facilement identifiables, l’archétype de la
voleuse à gauche, son arc bandé, l’archétype du guerrier au centre, en armure
lourde et l’épée en main et enfin, à droite, l’archétype du magicien, préparant
un sort du bout de son bâton. Le décor se caractérise par de hautes montagnes,
l’action se situant au sommet de monts enneigés. On remarque des oiseaux,
sûrement des corbeaux voler au loin. Le thème de cet artwork semble clairement
être la démesure d’une créature, l’ancrage de ce monstre dans son environnement
et peut-être même quelque chose qui se rapprocherait de l’héroïsme des
personnages.
![]() |
Juhani Jokinen |
Il convient, avant d’entrer dans une réelle analyse poussée
de cet artwork riche en techniques, de le replacer dans son contexte de
réalisation afin de bien comprendre la volonté de l’auteur. L’artwork provient
du jeu vidéo Trine 2, développé en 2011 par le studio finlandais Frozenbyte à
mi-chemin entre le puzzle-game et le jeu de plateforme. Si la majorité du jeu
oscille entre un registre de Light Fantasy, c’est-à-dire une fantasy
relativement parodique et second degrés, et un registre de conte onirique,
notamment grâce aux sublimes musiques d’Ari Pulkkinen, cet artwork arbore une
toute autre tonalité. L’image fait parti d’une collection d’artworks que le
joueur peut débloquer s’il prend la peine d’explorer en profondeur les
différents niveaux du jeu.
Cet artwork a pour but de représenter le combat du joueur,
incarnant les trois héros, contre ce monstre. L’œuvre s’inscrit donc dans la
catégorie que l’on pourrait vulgairement nommer du boss-design, c’est-à-dire
parvenir à représenter un ennemi imposant, marquant un combat clé du récit. En
effet, ce monstre n’est en réalité personne d’autre que le roi des gobelins. Certes
dans le réel combat du jeu, les héros ne sont absolument pas dans une montagne
et encore moins en extérieur mais il faut avoir en tête qu’il s’agit bien là
d’un dessin préparatoire. Le roi gobelin a élu domicile dans l’ancien château
du royaume et cache la chambre de celle qui aurait dû devenir la reine de ces
terres.
On note donc assez aisément l’intention de l’auteur derrière
cet artwork bien qu’il n’ait jamais révélé publiquement de texte à propos. Juhani
Jokinen est un artiste conceptuel, illustrateur et peintre de profession, ce
dernier talent se révélant dans l’artwork. Il travaille désormais pour le
studio Ubisoft. Développé en interne pour le studio de jeu vidéo, l’œuvre a
pour but de donner une base créative à l’équipe de développement. Ce sont le
type d’œuvre que je préfère à titre personnel : celles qui inspirent, qui
ont pour but d’être un point de départ à l’élaboration d’une histoire ou d’un
monde imaginaire. Nous sommes ici dans de l’Heroic Fantasy pure, car il s’agit
du combat entre un héros - trois en l’occurrence – contre une créature. Le but
est de représenter l’ambiance finale du jeu. Ainsi, ici, tout a été mis en œuvre
pour stimuler l’imagination d’une équipe créative et c’est sans doute le type d’artwork
le plus importants à analyser, notamment sa plastique.
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Double pyramide structurant l'artwork |
De plus, on remarque une seconde pyramide formée par le groupe, le guerrier à
sa tête, renforçant la solidité du groupe de héros ainsi que leur cohésion. Certes
cette dernière est décentrée, faisant la part belle au monstre mais garde son
effet de détermination des protagonistes.
On constate également que l’arrière du plan baigne dans un certain flou,
concentrant le regard du spectateur sur l’action. Le cadre est également envahi
par ces quatre personnages, resserrant l’action et focalisant le regard dessus.

Cependant, c’est selon moi le travail qui a été fait sur la
couleur que je trouve le plus impressionnant dans cet artwork et qui donne, à
mon avis, tout son cachet. L’œuvre baigne dans le duo de couleurs blanche et bleue dont la signification ici est on ne peut plus simple : le froid, l’hivers,
l’austérité mais également appelle l’imaginaire autours de la banquise et les
glaciers, ce qui donne une impression de grandeur et fige les éléments
représentés. Les rehauts de couleur sont extrêmement important dans l’équilibre
du cadre : les pointes de couleur sont disposés de manière à renforcer la
pyramide formée par les héros. De plus, ces couleurs distinguent parfaitement
les héros du décor tandis que le Roi Gobelin l’épouse : cela a pour effet
d’inclure le monstre dans son environnement et de marquer son appartenance à ce
lieu.
D’autre part, ces touches de couleur ont pour effet de caractériser les
personnages. Il faut faire attention à ne pas tomber dans l’attribution
systématique d’une couleur à une émotion et toujours recontextualiser. Ici, le
rouge du guerrier caractérise sans doutes sa ferveur et sa rage, le cyan du
mage le surnaturel de son sort et le jaune de la voleuse, son arme, tout
simplement.
Enfin, la répartition savante de la lumière au sein du cadre
est très efficace. Le monstre est à un tel niveau de grandeur qu’il s’assombrit
lui-même, renforçant là encore cette force qui s’en émane. Quant à la lumière focalisée
sur le groupe de héros, elle a pour but de marquer leur importance ainsi que de
contrebalancer la présence du monstre dans le cadre, les héros ont pour eu la
lumière.
Tous les éléments plastiques sont ici mis en œuvre afin d’accentuer
cette sensation de grandiose. Pour quiconque est habitué à l’analyse plastique,
les choix artistiques utilisés peuvent ici paraître gros, voire forcés.
Cependant, c’est oublier l’efficacité qu’offre la vue de cet artwork et c’est
sans doute le plus important dans des œuvres ayant pour but de lancer un projet
d’œuvre de fiction. Cette œuvre représente à elle seule l’importance de l’analyse
des artworks efficaces car, en ayant conscience de ces biais en vu de
représenter des univers imaginaires, l’artiste pourra les utiliser dans leur pleine
puissance et ainsi faire naître chez d’autres créateurs des idées. Le travail d’un
artiste réside également en ça : mettre des images sur des idées, d’une
part et d’autre part de parvenir à les faire germer.
Les artworks des trois jeux Trine sont tous de ce ressort et
regorgent de cette puissance. Ils ont pour eux cette capacité à vous faire
naître cette volonté de créer et c’est sans doute là où l’artiste de l’image se
rend le plus utile et en tire tout le plaisir de son travail.
Jaden Kor.
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